Propos recueillis par Melany Procolam.

Griotte est une artiste et carnettiste Malgache. Avec son carnet « Voyage au pays des Za », elle remporte le prix du Club de la presse à l’occasion du 20e Festival du carnet de voyage à Clermont-Ferrand. Après cette victoire, la carnettiste s’est confiée au micro de Melany Procolam sur ses projets à venir, mais également sur ses différentes expériences et rencontres faites à travers de ses voyages.

Souriante, elle discute avec des visiteurs curieux de découvrir son univers. Parmi les stands, celui de Griotte est reconnaissable entre tous. Baobab géant dessiné sur une fresque, objets traditionnels malgaches, palette de peinture : autant d’éléments qui permettent de cerner rapidement la personnalité de la carnettiste vainqueur du prix du Club de la presse. Avec son carnet Voyage au pays des Za, Griotte transporte le lecteur à Madagascar sur les plateaux de Mahafaly : à la rencontre du village de creuseurs de baobabs citernes. Une expérience des plus enrichissante qui lui a valu un prix, mais aussi des rencontres inoubliables.

Depuis quand faites-vous des carnets ?

Je fais des carnets depuis mon adolescence. Cela me permet de découvrir le monde et de le comprendre. Dessiner est une manière pour moi d’interpréter le monde et de le vivre. C’est de la sorte que je lui témoigne ma sensibilité.

Pourquoi faites vous des carnets de voyage ?

Mes carnets de voyage comme toutes mes productions artistiques, n’ont aucun but conscient. Je dessine car j’aime ça. L’art permet de réunir des gens qui ne parlent pas forcément la même langue. Avec un dessin on peut transmettre des émotions. Le carnet se passe de mots, c’est son plus grand atout. Il est compréhensible de tous. Et c’est très pratique car on n’y perd rien et on s’y retrouve facilement : C’est un objet unique, où l’on peut y loger toute une part de vie.

Vous êtes une artiste dans l’âme, comment avez-vous découvert le dessin ?

Ma mère a eu une formation aux beaux-arts donc je l’ai toujours vu dessiner et peindre. Je me souviens qu’elle griffonnait sur des petits carnets en téléphonant. Quant à moi, depuis petite,je ne me suis jamais arrêté de dessiner.

Quelles sont vos inspirations pour produire vos œuvres ?

Je pense que c’est la rencontre avec la population, le monde urbain ne m’inspire pas plus que ça. Je préfère la nature, les gens.

Dessinez-vous sur le vif ou d’après vos souvenirs ?

Pour mes carnets de voyage en général,je dessine sur le vif, néanmoins, je m’autorise à mettre les couleurs et finitions plus tard si je n’ai pas le temps dans l’immédiat.

Comment est née l’idée de ce carnet ?

Ce carnet est né d’une rencontre avec Cyrille Cornu qui est spécialiste des baobabs depuis 8 ans à Madagascar. Cela fait un moment que nous souhaitions collaborer ensemble. J’ai toujours été fascinée par les baobabs. Il y en a beaucoup dans la ville d’origine de ma mère à Majunga. (N.D.L.R. : ville au nord-ouest de Madagascar). Mais aller dans le village des creuseurs de baobabs m’a permis de voir ces arbres en milieu naturel.

Pourquoi avoir choisi le thème de Madagascar dans ce carnet de voyage ?

Madagascar est un thème qui me tient beaucoup à cœur car je suis malgache. Bien que je souhaite aussi étudier d’autres pays, explorer cette culture revient à m’explorer moi-même, savoir d’où je viens et quelles sont mes racines. Cependant, j’estime que ce n’est pas mon pays, car aucun territoire n’appartient aux êtres humains. Ce prix est l’occasion de rendre hommage à cet endroit et à tout ce qu’il m’a donné.

Comment pourriez-vous résumer votre expérience dans le village des creuseurs de baobabs ?

Vivre aux côtés des creuseurs de baobabs m’a permis de voir à quel point en Occident, l’Homme ne sait plus vivre avec la nature. Si notre mode de vie moderne vient à s’écrouler nous ne pourrons pas survivre alors qu’eux oui. Ils vivent en quasi autarcie : avec rien, mais très bien, sans eau, ni électricité. Leur seul accès à l’eau est la pluie. Ils n’ont ni puit, ni sources, ni lacs, ni eau courante. C’est extraordinaire de voir ces gens vivre en accord avec la nature. Si je devais résumer cette expérience, je dirais l’harmonie. Cela m’a ramené à un film que j’avais vu lorsque j’étais petite : « Les dieux sont tombés sur la tête » qui est tellement visionnaire ! C’est sûr que c’est bien de vivre avec un confort et le frigo rempli, mais aujourd’hui on a tout sans faire d’effort et on ne sait plus rien faire. Personne aujourd’hui ne chasserait son bétail pour le manger comme le fait encore le peuple des creuseurs de baobabs.

Quels messages souhaitez-vous délivrer à travers vos carnets ?

Faire changer les mentalités par le biais de mes carnets de voyage n’est pas une finalité première car je ne fais pas de la politique. Néanmoins, j’essaie de faire passer des messages qui me tiennent à cœur. Je veux montrer aux gens que ce n’est pas une honte d’être créole ni d’être malgache. C’est une richesse culturelle avec un métissage énorme. Arrêtons de dire que nous sommes tous pareils. Je suis blanche avec les cheveux lisses et pourtant, je suis malgache par exemple. Nous sommes différents et c’est ce qui fait la richesse et la beauté de la race humaine.

Quelle est la plus belle rencontre que vous avez faite au cours de vos voyages ?

Les creuseurs de baobabs sont vraiment ma plus belle rencontre de tous mes voyages. Ils ont un tel sens de l’accueil et la bonté des gens. Je les ai quittés avec les larmes aux yeux. On était tellement différents mais tellement proches.

Vivez-vous toujours à Madagascar ?

Cela fait 8 ans que j’ai quitté Madagascar pour des raisons familiales et je vis maintenant à la Réunion.

Vivre à Madagascar ne vous manque pas ?

Non, car Madagascar est un pays où il n’est pas toujours simple de vivre. Depuis que je l’ai quitté, je ne vois que le positif, car j’y vais que pour des courtes durées. Je n’ai donc plus les inconvénients.

Aviez-vous déjà gagné un prix auparavant ?

Non jamais ! À vrai dire, je ne suis pas très joueuse (rires). Gagner à un concours, c’était pour moi comme de gagner au loto, je n’y croyais pas.

Comment avez-vous réagi lorsque vous avez appris que vous étiez sélectionnés pour le prix du club de la presse ?

Lorsque j’ai reçu le mail m’annonçant que j’étais dans les sélections du prix du Club de la presse, j’étais très étonnée que des journalistes se soient intéressés à mon travail et à mon projet. C’est une très bonne surprise.

Votre livre n’est pas encore édité, est-ce un choix délibéré ou allez-vous le faire publier ?

Nous sommes en pourparlers et nous devrions le publier d’ici l’année prochaine.

Quels sont vos projets pour la suite ?

Je pars bientôt en voyage en boutre (N.D.L.R. : bateau oriental) sur toute la côte entre Nosy be et Majunga avec un équipage malgache. C’est une région très conservée et magnifique qui n’est accessible qu’en bateau. Par la suite, au mois de Janvier je pars avec une anthropologue dans la ville de Arar en Ethiopie : c’est la première fois que je vais poser le pied sur le continent même africain. Ça va être un moment très émouvant pour moi, car l’Afrique est la terre mère.